Une brève histoire du rap français

Découvrez notre article sur l'histoire du rap français

Découvrez maintenant notre article sur l’histoire du rap français ou comment le hip-hop français s’est taillé une place unique dans le paysage musical.

Les débuts du rap français

Les débuts de l'histoire du rap français


Lorsque Suprême NTM entre en studio pour enregistrer son premier album à l’automne 1990, le rap français n’existe pas encore sur disque. La musique est composée de breakbeats ultra serrés, d’empilements de couches sonores, de samples de funk et d’effets sonores divers, mais les ingénieurs du son ne savent tout simplement pas comment la produire au même niveau que leurs cousins américains.

Les défis de la production

Cyril « Reptile » Noton, qui a travaillé sur les sessions, explique le défi : « Les premiers disques de NTM, Assassin et IAM étaient trépidants : des breakbeats très rapides, des basses jouées en croches… on s’arrangeait pour que les niveaux sonores soient propres et qu’on puisse les copier, mais il y avait trop de sources différentes, c’était difficile à gérer. Et surtout, en tant qu’ingénieur du son, je n’avais jamais fait ça ».

C’était le point de départ d’une quête sonore qui allait durer. Au cours de la décennie suivante, le rap français va se forger une identité entre frustration et créativité, influence et adaptation, en s’inspirant de ses cousins américains, mais aussi contre eux, ou plus exactement contre tout.

Matériel et innovation


Le hip-hop a démarré lentement en France parce que le matériel n’était tout simplement pas disponible. « J’ai dû attendre 1986 pour acheter une des platines Technics. Une seule », se souvient Dee Nasty, un pionnier du genre. « Je devais me renseigner auprès des employés du magasin d’électronique Fnac pour savoir quand elles seraient livrées, car si vous n’étiez pas là à ce moment précis, vous deviez attendre un an de plus. Ma table de mixage était une humble BST qui n’avait même pas de cross-fader. Un ami m’en a bricolé une avec des transistors et quelques soudures et j’ai pu commencer à scratcher comme sur « Rock It ». J’étais très fier d’avoir réussi à scratcher avec ce truc !« 

L’histoire du rap français : Influences et évolution


Obsession américaine

Tribe Called Quest


Les oreilles du rap français, au début du moins, sont résolument tournées vers les Etats-Unis. Une obsession résumée par Kool Shen, moitié de Suprême NTM : « On pensait que plus on passait de temps sur un mix, meilleur était le morceau, alors que c’est parfois l’inverse dans le rap. Parfois, on passe des semaines sur une caisse claire, une cymbale. Comme, ‘Montre-moi celle-là : Diiiing ! L’autre ? Deuuung ! Les deux en même temps ? Deuuuiiing ! D’accord, réduisez un peu le premier – deuiiing ! Pendant toute une semaine ! On se branle vraiment ! On se prenait la tête pour des détails, alors que les Américains maîtrisaient les fondamentaux : une grosse ligne de basse, des samples qui créent un groove monstrueux qui anéantit tout ce qu’il y a devant. Il nous a fallu quelques années pour y arriver ».

« Assassin et NTM recherchaient une pression sonore proche de Public Enemy », se souvient DJ Junkaz Lou, qui a débuté à cette époque aux côtés de DJ Mehdi, figure de proue de la production rap française du collectif Mafia K’1 Fry. Mais « l’autre » rap français existait aussi, influencé par d’autres choses, comme EPMD, Ced Gee ou Tribe Called Quest. L’histoire du rap français vient un peu des USA.

Le rôle des producteurs et du matériel dans le rap français

 Sully B. Wax dans l'histoire du rap français


Lié au producteur Sully B. Wax (Vitry-sur-Seine), le groupe Les Littles, présidé par DJ Sek, s’inscrit dans la lignée de cette nouvelle école. « On cherchait l’aspect soul ou jazz, en écumant les brocantes », révélait DJ Sek en 2011 au magazine Rap Mag. « On travaillait à partir de samples, mais on ajoutait parfois une TR 808 pour alourdir le kick, ou on faisait appel à un bassiste, on tâtonnait. » Dans leur quête du son américain, Sully et Sek n’ont rien manqué : « Nous avons littéralement « étudié » le rap américain. Nous nous intéressions aux studios, aux ingénieurs qui s’occupaient du mixage et du mastering. Ces détails ont rendu notre processus de plus en plus solide ».

Dans leurs tentatives de reproduire Gang Starr ou Group Home, DJ Sek, Junkaz Lou et une poignée d’autres (dont IAM ou NTM à la même époque), ont mis la main sur le SP-12, un combo échantillonneur / boîte à rythmes. « C’était le matériel pour ceux qui savaient », sourit Junkaz Lou. « Seuls ceux qui s’intéressaient au son et à la technologie avaient le SP. » Et cela a tout changé.

Mixage et mastering – l’histoire du rap français

Mixage


Si le son se rapproche des standards du rap américain, « la vraie différence se situe au niveau du mixage et du mastering », explique Junkaz Lou. « La solution était de travailler avec des ingénieurs qui s’y connaissaient. Pour le mixage de leur compilation Time Bomb Vol. 1, DJ Mars et Sek sont allés chercher les gars dont les noms apparaissaient sur les disques qu’ils aimaient. « David Kennedy, Tony Dawsey ou Carlton Batts… Et tout d’un coup, le son était là !

Cette obsession du son américain a longtemps fait débat dans les studios français. Les producteurs accusaient les ingénieurs. Chez les Français, il y avait une sorte de « peur des basses », se souvient DJ Sek. « Ils ne parvenaient pas, par exemple, à mettre suffisamment en avant le subbass de la TR ou la bassline.

Oxmo Puccino et l'histoire du rap français

Les ingénieurs, quant à eux, rejetaient la faute sur les producteurs. Jeff Dominguez, ingénieur du son – qui, depuis 1996, redonnait vie aux productions d’Ideal J, Oxmo ou Fabe – rappelle que « dans Gang Starr, vous aviez un pied et une grosse caisse, mais vous aviez surtout un fabuleux sample qui conduisait le groove, et qui explosait tout. Le problème venait peut-être de l’ingénieur du son, mais aussi des producteurs. Parfois, on nous donnait des choses difficiles ».

Il poursuit en soulignant une variable inhérente dans l’histoire du rap français : « La phonétique et les inflexions de la langue française alourdissent le mix ». Pour Dominguez, qui a déjà travaillé sur des voix françaises, américaines et africaines, « Si vous mettez la voix d’un Américain sous la caisse claire, vous pouvez toujours comprendre les mots ; elle fonctionne comme un instrument facile à insérer dans le mixage. Par contre, si vous mettez une voix française sous la caisse claire, vous ne pouvez pas comprendre les mots. On est obligé de la mettre en avant, et d’augmenter d’autant le kick ».

Thèmes politiques et couverture médiatique

L’histoire du rap français : premières influences politiques


Néanmoins, les paroliers français vont rapidement trouver leur voie. À la fin des années 80, les crews Assassin et 93 NTM définissent en quelques titres un discours qui influencera fortement l’histoire du rap français. Inspirés par les thèmes politiques de Public Enemy et de KRS-One, les deux groupes définissent un véritable credo textuel, une alternative idéologique rouge sombre qui ressemble parfois à une reproduction du message du Parti communiste français adapté à la rue. A cette époque, le rap est la musique des gauchistes en France, avec pour thèmes les violences policières, l’économie – parfois très précisément détaillée par Assassin – et l’oppression des masses.

L'histoire du rap français et ses paroliers controversés -NTM

Les thèmes sont directement hérités de Public Enemy, mais aussi de la culture politique des banlieues françaises, connues sous le nom de « banlieues rouges ». « Ma famille est issue de l’immigration portugaise, j’ai donc grandi dans une ambiance familiale où l’on parlait tout le temps de politique. Et dans ces banlieues, c’est toujours à l’extrême gauche », se souvient Kool Shen.

Rockin’ Squat, créateur du groupe de rap Assassin au milieu des années 80, frère de l’acteur Vincent Cassel de La Haine, fils d’acteur aux revenus confortables, n’est pas moins touché par les discours de l’intelligentsia gauchiste de la maison.

Passionné, énergique, fonçant sans le savoir vers ses premiers succès, le rap français est alors comme ce « haut parleur d’une génération révoltée prêt à tout ébranler », comme le rappent les NTM dans leur premier single, « Le Monde de demain ».Rockin’ Squat cherche à dialoguer avec la société, à s’adresser à elle et à lui communiquer ses angoisses, à chercher des réponses et à remettre en cause les institutions dominantes.

Procès médiatiques et image publique

Les paroles de Suprême NTM (entréees dans l’histoire du rap français), comme celles de la plupart des groupes américains de l’époque, prennent une forme messianique à travers une grande rhétorique sur la liberté, l’oppression, la vie politique, etc. Mais dans les banlieues françaises, la situation se dégrade progressivement au fil des années 1990. Si dans « le Monde de Demain », NTM rêvait d’endosser le rôle de haut-parleur, l’équipe s’est heurtée à un mur d’incompréhension.

Supreme NTM

Face aux tensions sociales cristallisées par NTM, la machine médiatique s’emballe, donnant lieu à des procès incessants et à des tribunes au vitriol. Après la sortie du titre « Police » en 1993, le groupe est plongé dans ce qu’il est convenu d’appeler « l’affaire NTM ».


Le procès qui s’ensuit entre le groupe et les syndicats de police vaut aux deux rappeurs un verdict à la formulation drolatique :

« une interdiction d’exercer la profession de chanteur de variété pendant six mois ».(décision cassée en appel).

On se souvient également du dialogue surréaliste qui a opposé les deux rappeurs de NTM à Eric Raoult – le maire du Raincy – sur la chaîne de télévision publique France 2, un soir de 1996. Raoult demande au groupe combien d’argent il a réinvesti dans sa commune, ce qui provoque l’ire d’un JoeyStarr à l’impolitesse extravagante – un comportement que les médias ont essentiellement utilisé pour discréditer le groupe. Un moment important dans l’histoire du rap français.

À la même époque, un documentaire intitulé Authentique – 1 an avec NTM est sorti, montrant comment un journaliste de France 2 a provoqué la colère du rappeur lors d’une interview tendue.Et comment le soir même, le journal télévisé a diffusé 15 secondes d’un JoeyStarr furieux, sans contexte ni précision.

Toute l’histoire de la médiatisation du rap français s’est jouée dans ces échanges d’une rare violence. Des projets politiques et des justifications à n’en plus finir sont demandés aux rappeurs qui sont soit dépeints comme des sauvages en mal de justesse, soit comme des gens qui n’ont rien à se reprocher.